Les douceurs du péché, domaine étendu du livre
Une exposition dans l'espace de documentation du Frac PACA, à Marseille, du 7 septembre au 22 décembre 2013.
© JC Lett et NVDS
 
Commissaire : Stéphane Le Mercier.
Direction : Pascal Neveux.
 
Exposition dans le cadre des projets "Ulysses".
Propos sur l'exposition en général :
Les livres présentés se transforment en graphes, en cartes dépliables ou bien dévoilent, sous une apparente austérité, des trésors de tiroirs, des perspectives cachées. Par là, ils augmentent les possibilités du récit. Pour les dix artistes invités, la commande fut élémentaire. Il leur a été demandé de concevoir un projet à partir d’un document éditorial préexistant, que celui-ci leur fut proche (livre de chevet, souvenir de voyage) ou exhumé pour l’occasion. Enlumineurs, faussaires de génie, traducteurs cleptomanes, archivistes, toutes les postures sont bonnes pour mener à bien leur stratégie plastique.
Parfois, ces projets ont la discrétion tenace (Claude Horstmann, Hervé Humbert, Rémy Hysbergue, Babeth Rambault). L’intervention est modeste (encart, erratum, transformation de la couverture, jeu graphique). Ils peuvent s’apprécier comme des maquettes finalisées et rejoignent en cela, l’économie du projet artistique en attente d’un diffuseur. Parfois, ils s’étendent aux limites du volume (Samir Mougas, Guillaume Pinard, Niek van de Steeg) renouant ironiquement avec la tradition des machines de lecture (les dispositifs de la Renaissance permettant la manipulation de plusieurs incunables mais aussi les dernières tablettes numériques). Enfin, ils peuvent s’attarder sur ce que Gérard Genette a nommé le péritexte - la couverture (Serge Le Squer), les pages de garde (Lasse Schmidt Hansen) – ou bien dans le cadre du processus d’impression, les feuilles de calage, les macules (Pierre-Olivier Arnaud).
 
En questionnant les conditions matérielles du livre, ces projets doivent plus à l’héritage de Dieter Roth qu’à celui d’Ed Ruscha. En cela, ils ont conscience de l'instabilité de leur position, de ne pas correspondre stricto sensu à la définition du livre d’artiste ; néanmoins, même si leur diffusion est limitée, ils ne sombrent pas dans le fétichisme, la rareté bibliophilique. Ils tentent, au contraire, de défendre une expérience réelle, oeuvrant pour un domaine étendu du livre et avec lui, pour un renouvellement de la lecture.
Stéphane Le Mercier
 
Et plus spécifiquement sur l'œuvre présentée :
MMP (Maison de la Matière Première) « Des Intérêts Matériels en France », 2013
Grès, duralinox, bois, peinture, livres, 100 x 80 x 90 cm

Depuis Le Pavillon à Vent inauguré au début des années 1990 jusqu’à la très récente Maison de la Matière Première, Niek van de Steeg développe un ensemble de récits qui s’attardent sur les structures visibles et invisibles de l’économie politique. Pour ce faire, il privilégie les rapprochements inopinés, les agencements polyphoniques (un jogger essoufflé narre l’histoire d’un site consacré à l’exploitation de l’uranium, une table dont la surface recouverte d’un rouleau de papier enregistre ad libitum les signes graphiques produits par ses usagers). Chacune de ces enquêtes s’élabore patiemment, en s’appuyant sur un ensemble d’accessoires : livres, cartes, maquettes, tableaux noirs. Ainsi, pour l’exposition au Frac PACA, l’artiste s’est-il concentré sur Des Intérêts Matériels en France - Travaux Publics, Routes, Canaux, Chemins de Fer, ouvrage édifiant rédigé par un certain Michel Chevalier, publié en 1838, ainsi que sur sa version nouvellement numérisée par la BNF [Bibliothèque Nationale de France]. La consultation des deux documents est facilitée par un dispositif sculptural, une « machine de lecture » dont les éléments constitutifs (grès, durilanox, verre soufflé) mêlent avec surprise l’esthétique des avant-gardes russes (on songe au mobilier du Club de la Presse de l’Armée Rouge tel qu’il fut conçu par El Lissitzky) et le design post-moderne le plus décoratif.